Emmanuelle Bouchez from French cultural magazine Télérama visited us during our residency at La FabricA last May in Avignon. She spent some days with us in order to observe the creation process of STORY WATER, talk to Emanuel about his career and his working methods, and interview some of the dancers (including myself) about their experiences in the company.

Have a look at the original French article below. In case you only speak English, don’t bother Google translating, I already did that for you…

French version
English version

EMANUEL GAT, LA DANSE EN BONNE COMPAGNIE

En chaque nouvelle chorégraphie, Emanuel Gat et ses danseurs composent en commun, improvisent, s’inspirent les uns les autres. Donnant naissance à des pièce telle STORY WATER, intenses et complexes.

Quand le chorégraphe Emanuel Gat répète à la FabricA, cloître contemporain dédié à la création hors des remparts d’Avignon, l’ambiance n’y est pas tout à fait la même que d’habitude. Un ado surfe sur le Net et une petite fille y taquine les danseurs pendant les pauses. Quand Gat père – 49 ans et une silhouette de sportif – travaille, ses enfants l’accompagnent, naturellement curieux de cette ambiance de création, Julia 21 ans, l’ainée des cinq, photographe en devenir, l’explique ainsi: “Mon père et ma mère nous ont laissés libre d’observer, d’apprendre et choisir dans quelle voie s’engager. Nous n’avons pas pour autant poussé comme l’herbe des champs. A 14 ans, par exemple, j’expérimentais déjà ma future filière professionelle.” Ce libre tutorat en cours dans la famille se retrouve aussi dans le studio du chorégraphe: Emanuel Gat partage avec chacun de ses interprètes, complices magnifiques, une grande part de sa responsabilité. “Je ne fais rien!” provoque-t-il: ils créent “le matériel” (le geste) quand lui-même donne “les règles du jeu”, et compare avec modestie son rôle aux ” rives du fleuve” permettant sens et mouvement. De sa version du SACRE DU PRINTEMPS de Stravinsky, épicée par la salsa, en 2004, à SUNNY (2016) pulsé par les envolées techno de son ex-danseur Awir Leon, ses pièces sont de longs continuums de corps s’exprimant avec une extraordinaire sensuelle musicalité.

Cette fois encore, à la fin de la répétition, les danseurs s’assoient en rond autour de lui pour évoquer ce qu’ils viennent de faire. Cela tient sans doute à son histoire, commencée en Israël, bien avant qu’il ne choisisse en 2007 d’installer sa famille en France (à Istres), et de fonder sa compagnie un ans plus tard dans cette même ville des Bouches-du-Rhone dont l’appui, au fil d’une trentaine de créations, n’a jamais faibli. Il a alors déjà dix ans de travail dans les jambes. Après l’assassinat du Premier Ministre Yitzhak Rabin, en 1995, le jeune Gat fabrique dans son pays des spectacles engagés, mais décide peu à peu de ne plus prendre de front la question politique; il préfère vivre sur scène son utopie en y créant “une communauté”. En 2018, les onze danseurs, dans la moitié ont cinq à dix ans de compagnonnage au sein de sa compagnie, la Emanuel Gat Dance, semblent toujours cueillir les fruits d’une telle éthique: “J’ai changé ma manière de vivre la danse” confie Michael Loehr, l’un des plus anciens “car on éprouve ici une énorme liberté. Mais Emanuel veille: grâce à ses consignes, nos propositions ne restent jamais dans leurs version originale.” Milena Twiehaus, autre lumineuse danseuse, insiste: “Il est très bon pour bâtir un groupe. On s’apprécie, on se regarde, on s’inspire mutuellement. On se colore les uns les autres aussi sans doute, mais sans jamais rester dans nos habitudes.”

Emanuel Gat a choisi de quitter Israël – ou son père d’origine marocaine, ex-étudiant en France avait même fait partie du Mossad – pour des raisons tout autant artistiques (il désirait un champ plus large) que personnelles: “Je ne voulais pas que mes enfants fassent leurs service militaire et participent à un système nationaliste – le sionisme – qui ne signifiait rien pour moi. Regardez aujourd’hui: mes danseurs viennent de sept pays différents!” Lui est devenu artiste à Tel-Aviv, même s’il est l’un des rares chorégraphes d’origine israélienne à ne pas être issu de la fameuse Batsheva Dance Company, dirigée par le bouillant Ohad Naharin. Mais il y a découvert comme spectateur, l’art de l’Américain William Forsythe. Un choc, le confortant dans une carrière choisie tardivement, à 23 ans, au détriment d’une première vocation de chef d’orchestre. “Je me posais encore beaucoup de questions. Voir Forsythe a changé ma vie: une grande porte s’est ouverte sur un monde où je me suis senti invité.” Si on lui dit reconnaître dans sa gestuelle toujours poussée aux limites l’influence de ce dernier, il réfute. Mais acquiesce pour les “assemblages”, tout en revendiquant aussi son admiration pour Pina Bausch ou Merce Cunningham… Dans BRILLIANT CORNERS (2011) fulgurante pièce de groupe sur la musique de Schubert, ou dans GOLD (2015), exercice de précision inspiré par les Variations Goldberg de Bach version Gould, son univers est toujours signé: intense intériorité des interprètes, combinaisons complexes des ensembles, le tout animé d’une fluidité inépuisable.

Malgré sa premiere apparition remarquée au festival d’Uzès en 2004 avec LE SACRE, Gat a été plus vite reconnu à l’étranger (Londres, New York, Anvers) qu’en France, Montpellier Danse (une dizaine de premières en dix ans!) et le Théâtre de la Ville exceptés… Car avant sa “consécration” avignonnaise et son association, la saison prochaine, avec le Théâtre national de Chaillot, il n’a pas toujours rassuré les programmateurs… Le chorégraphe ne livre jamais d’avance le menu de ses spectacles: “Je ne sépare pas répétition et création. J’enchaîne un processus continu, représentations ou pas. Avec les danseurs, on se voit six mois sur douze grâce aux tournées, alors on dialogue, on travaille sans cesse.”

Pour STORY WATER, donné dans la Cour d’honneur du palais des Papes, le poème de Rumi (mystique persan du XIIIe siècle) a été l’étincelle plus que la trame. De cette eau fêtée par le poète parce qu’elle transmet au corps, de manière bienveillante, la chaleur du feu, Gat n’a retenu que la transmission d’une sensation. Et fait éprouver à ses interprètes le perception du temps (avant, pendant, après) afin qu’ils incarnent le plus possible l’instant de la représentation même.

Idée complex, révélatrice d’un vertige qu’il assume. Comme si, face à la pression que représente Avignon, et à une partition dense et multiple de Pierre Boulez (Dérive 2), jouée en direct par onze musiciens, il trouvait plus intéressant d’ajouter encore une dose de risque… cela n’entament pas sa sérénité. A mi-parcours des répétitions, Gat et ses danseurs ont enfin trouvé la clé d’entrée a ces variations “hermétique” tenues sur un même accord, que l’ensemble allemand désirait ardemment jouer. Chacun à préparé une phrase à apprendre aux autres. Répartis en deux groupe, les danseurs combinent ensuite ce langage, afin d’obtenir une petite chorégraphie de deux minutes. Un duo démarre, se transforme en trio ou en quintette, quand l’un performe seul, au premier plan. Ils tâtonnent ensemble. Gat circule parmi eux, l’œil aiguisé. A chaque nouveau top départ, tout change, c’est la consigne. “Ici, le mode d’action des danseurs (tenter, douter, recommencer) éclaire la musique et la rend plus accessible. Voilà le genre de bonne surprise offerte par l’habitude du travail collectif.” A l’arrivé, cette expérience d’écriture chorégraphique en direct représentera vingt-deux minutes sur les quarante-neuf que compte la partition, pièce maîtresse du spectacle où l’on entendra aussi des compositions de Gat lui-même (sans doute drôles) et de la Britannique Rebecca Saunders. Une telle prouesse exige des danseurs une concentration extrême comme une large écoute des autres. En répétition, le rendu était – déjà – saisissant…

von Emmanuelle Bouchez
Originally published on telerama.fr

EMANUEL GAT, THE DANCE IN GOOD COMPANY

In each new choreography, Emanuel Gat and his dancers compose in common, improvise, and inspire each other. Giving birth to such play STORY WATER, intense and complex.

When choreographer Emanuel Gat rehearses at FabricA, a contemporary cloister dedicated to creation outside the ramparts of Avignon, the atmosphere is not quite the same as usual. A teenager surfs the Net and a little girl teases the dancers during the breaks. When Gat father – 49 years old and a figure of sportsman – works, his children accompany him, naturally curious about this creative atmosphere, Julia 21 years old, the eldest of five, a photographer in the making, explains it as follows: “My father and my mother left us free to observe, learn and choose which way to engage. We did not grow like wild grass. At the age of 14, for example, I was already experimenting with my future professional career. “This free tutoring in the family is also in the choreographer’s studio: Emanuel Gat shares with each of his performers, magnificent accomplices, a great deal of his responsibility. “I do not do anything!” He provokes: they create “the material” (the gesture) when he himself gives “the rules of the game”, and modestly compares his role to the “banks of the river” allowing meaning and movement. From his version of SACRE DU PRINTEMPS by Stravinsky, spiced by salsa, in 2004, to SUNNY (2016) pulsed by the techno flights of his ex-dancer Awir Leon, his pieces are long continuums of body expressing themselves with extraordinary sensual musicality.

This time again, at the end of the rehearsal, the dancers sit in a circle around him to evoke what they have just done. This is probably due to his history, started in Israel, long before he chose in 2007 to settle his family in France (in Istres), and found his company a year later in the same city of Bouches-du -Rhone whose support, over thirty creations, has never faltered. He has already ten years of work in the legs. After the assassination of Prime Minister Yitzhak Rabin in 1995, the young Gat made engaged shows in his country, but gradually decided not to take the political issue face-to-face; he prefers to live on stage his utopia by creating a “community” there. In 2018, the eleven dancers, in the half have five to ten years of companionship in his company, the Emanuel Gat Dance, always seem to reap the fruits of such an ethic: “I changed my way of living dance “says Michael Loehr, one of the oldest” because we have enormous freedom here, but Emanuel is careful: thanks to his instructions, our proposals never stay in their original form. ” Milena Twiehaus, another luminous dancer, insists: “He is very good at building a group, we appreciate each other, we look at each other, we inspire each other, we color each other without doubt, but without ever remaining in our habits.”

Emanuel Gat chose to leave Israel – or his father of Moroccan origin, ex-student in France had even been part of Mossad – for reasons as artistic (he wanted a wider field) than personal: “I did not want that my children do their military service and participate in a nationalist system – Zionism – that meant nothing to me.Look today: my dancers come from seven different countries! ” He became an artist in Tel Aviv, although he is one of the few Israeli-born choreographers not to be from the famous Batsheva Dance Company, led by the fiery Ohad Naharin. But there he discovered as a spectator, the art of the American William Forsythe. A shock, comforting him in a career chosen late, at 23, to the detriment of a first vocation of conductor. “I was still asking a lot of questions, seeing Forsythe change my life: a big door opened to a world where I felt invited.” If he is told to recognize in his gestures always pushed to the limits the influence of the latter, he refutes. But nods for the “blends”, while also claiming her admiration for Pina Bausch or Merce Cunningham … In BRILLIANT CORNERS (2011) dazzling group play about Schubert’s music, or in GOLD (2015), inspired precision exercise by the Goldberg Variations of Bach Gould version, his universe is always signed: intense interiority of the interpreters, complex combinations of the sets, all animated with an inexhaustible fluidity.

Despite his first appearance noticed at the festival of Uzès in 2004 with SACRE, Gat was recognized faster abroad (London, New York, Antwerp) than in France, Montpellier Danse (ten firsts in ten years! ) and the Théâtre de la Ville except … Because before his “consecration” Avignon and his association, next season, with the National Theater of Chaillot, he has not always reassured programmers … The choreographer never delivers in advance the menu of his shows: “I do not separate repetition and creation, I follow a continuous process, representations or not.With the dancers, we see each other six months out of twelve thanks to the tours, so we dialogue, we work non-stop.”

For STORY WATER, given in the Courtyard of the Palace of the Popes, the poem of Rumi (Persian mystic of the thirteenth century) was the spark more than the plot. Of this water celebrated by the poet because it transmits to the body, in a benevolent way, the heat of the fire, Gat retained only the transmission of a sensation. And makes its interpreters experience the perception of time (before, during, after) so that they embody as much as possible the moment of the representation itself.

Complex idea, revealing a vertigo he assumes. As if, faced with the pressure that represents Avignon, and a dense and multiple partition of Pierre Boulez (Dérive 2), played live by eleven musicians, he found it more interesting to add another dose of risk … do not start his serenity. Halfway through the rehearsals, Gat and his dancers finally found the key to these “hermetic” variations held on the same chord, which the German ensemble was eager to play. Everyone has prepared a sentence to teach others. Divided into two groups, the dancers then combine this language, in order to obtain a small choreography of two minutes. A duet starts, becomes a trio or a quintet, when one performs alone, in the foreground. They grope together. Gat circulates among them, the sharp eye. At each new start, everything changes, it’s the deposit. “Here, the mode of action of the dancers (to try, to doubt, to start again) illuminates the music and makes it more accessible.This is the kind of good surprise offered by the habit of the collective work.” On arrival, this experience of live choreographic writing will represent twenty-two minutes out of the forty-nine of the score, the show’s main piece where we also hear compositions of Gat himself (probably funny) and the British Rebecca Saunders. Such a feat requires dancers extreme concentration as a broad listening to others. In rehearsal, the rendering was – already – striking…

by Emmanuelle Bouchez
Originally published on telerama.fr