DRIFT AND FURY

May 23, 2019 in Performing


Dance journalist Thomas Hahn describes STORY WATER as “One of the best French dance companies and one of the best contemporary German orchestras in a vibrant choreography of bodies and minds.” He elaborates that “The new creation of Emanuel Gat unfolds a surprising dramaturgy of atmospheres and energies. And it tells us about the bonds that are woven between beings to form a community.

Here are two french reviews from our shows at Théâtre national de Chaillot in Paris. The first is the one mentioned by Thomas Hahn for Artistik Rezo, the second one is by Jean-Frédéric Saumont for Danses avec la Plume:

 

Artistik Rezo
Danses avec la plume

A CHAILLOT, EMANUEL GAT SALUE BOULEZ EN DÉRIVE ET FUREUR

STORY WATER : L’une des meilleures compagnies de danse françaises et l’un des meilleurs orchestres contemporains allemands dans une vibrante chorégraphie des corps et des esprits. Emanuel Gat Dance et Ensemble Modern de Francfort se lient d’amitié et d’ambition, dans un subtil concert chorégraphique, jusqu’à s’envoler sur une inspiration Folk Dance collective.

Une composition de Pierre Boulez qui culmine dans une sorte de tsunami musical (Dérive 2), une partition de Rebecca Saunders (Fury II) qui interroge les silences derrière le furioso musical, et un troisième set traversé par les musiques et danses traditionnelles de tous les continents (Folk Dance) : La nouvelle création d’Emanuel Gat déploie une surprenante dramaturgie des ambiances et des énergies. Et elle nous parle des liens qui se tissent entre les êtres pour former une communauté.

Comme à leur habitude, les danseurs de Gat se lancent dans de larges parties improvisées qui ont toujours l’air d’avoir été répétées au cordeau. Telle est l’entente naturelle entre ces interprètes qui se connaissent les uns les autres et forment un ensemble parfaitement organique. Nous assistons ici à leur rencontre avec une formation musicale d’envergure: Ensemble Modern, le célèbre orchestre contemporain de Francfort, bien ancré dans les mémoires du public parisien pour ses spectacles partagés avec le metteur en scène Heiner Goebbels.

Crée au Festival d’Avignon dans la Cour d’Honneur du Palais des Papes, STORY WATER tourne désormais dans sa version définitive, et donc délesté des projections didactiques militantes (sur les conditions de vie à Ghaza, l’accès à l’eau potable…) qui alourdirent le spectacle à Avignon. STORY WATER est ici une pièce d’art pur, où danseurs et musiciens partagent un “simple” plateau de théâtre. Et la référence à l’eau se limite à celle du poème soufi qui inspira le titre: “Une histoire est comme l’eau que tu chauffes pour ton bain / Cette eau te transmet des messages, entre le feu / Et ta peau.

C’est une jolie valse des exils artistiques: Voilà donc une compagnie de danse française dirigée par un artiste d’origine israélienne et une formation musicale contemporaine de Francfort jouant sous la baguette d’un chef d’orchestre français. Ensemble, ils interprètent d’abord Dérive II de Pierre Boulez, pour enchaîner avec Fury 2 de la compositrice britannique Rebecca Saunders qui, elle, vit et travaille à… Berlin!

Les partitions musicales de Story Water sont particulièrement exigeantes. Avec Dérive 2 de Pierre Boulez et Fury II de Rebecca Saunders, le chorégraphe a choisi deux œuvres singulières et “extrêmement physiques”, comme le dit le chef d’orchestre français Franck Ollu, spécialiste des musiques contemporaine et baroque et étroitement lié à Ensemble Modern. C’est Ollu qui dirige la formation dans les trois parties musicales de STORY WATER, même si Gat s’amuse à remettre en cause l’autorité du chef: “Dans la troisième partie, nous n’aurions même pas besoin du chef d’orchestre, puisque moi, les danseurs et les musiciens avons tout créé ensemble.

A Boulez et Saunders s’ajoute en effet un finale composé collectivement par Gat et les musiciens d’Ensemble Modern, où s’entremêlent danses et musiques traditionnelles de Taiwan, Hawaï, Irlande, Bulgarie et autres, et côté danse la Tarantella italienne et le Schuhplattler des Alpes germaniques, au beau milieu de danses hongroises, irlandaises, taïwanaises et tant d’autres. A chaque musicien, Gat avait demandé de choisir une musique traditionnelle, comme il le fait pour la danse avec sa propre compagnie. Ensuite, le travail consista à confronter et mélanger ces traditions, pour les mettre en perspective.

De la danse la plus puissante (emportée par le tsunami final de Boulez) à la plus intimiste (paradoxalement dans la première partie de la même composition), la compagnie crée et maintient le suspense à travers la composition très structurée de Saunders qui joue aussi sur les silences et le lien entre les danseurs et les musiciens. Au milieu du plateau, le soliste contrebassiste s’intègre dans la chorégraphie, son geste musical devenant une danse en soi.

Saunders : “Il y a une relation forte entre le soliste et le chef d’orchestre qui se reflète dans l’attention des danseurs entre eux. Le contrebassiste, au geste musical et physique très expressif, crée une relation très intime avec son instrument. Entre les deux, c’est une danse de couple, une relation complexe et vivante, une vraie histoire d’amour. Mais ce n’est pas facile pour le soliste! Quand un musicien est ainsi exposé aux regards, il se sent carrément nu au début.

Selon Emanuel Gat, “Pierre Boulez disait que s’il rêvait de voir l’une de ses compositions dansées, c’était justement Dérive 2, mais dans la réalité aucun chorégraphe ne s’y est jamais attaqué.” C’est la partition elle-même qui peut en être la raison, car Gat lui-même est forcé de constater: “Ce n’était pas facile d’entrer dans l’univers de Dérive 2. Mais quand nous avons travaillé sur l’avènement du matériau chorégraphique, ces improvisations ont fait surgir une musicalité naturelle qui sied parfaitement à la pièce de Boulez. On s’arrête, on essaye quelque chose, on revient en arrière, et la musicalité surgit…

C’est donc chose faite pour danser Dérive 2, et ce dans un style qui aurait certes étonné mais aussi fasciné le grand Boulez, justement par la grande liberté stylistique et chorégraphique derrière laquelle se tisse un fil plus intérieur à l’œuvre. Aussi Gat évite-t-il toute illustration immédiate. Les bienfaits de cette liberté n’ont pas échappée à Rebecca Saunders qui admire chez le chorégraphe “sa capacité à transposer, de façon très subtile, les articulations dynamiques de la musique en langage chorégraphique” et qui ajoute que “même à des moments où tous les danseurs sont couchés au sol, ils créent un vrai suspense.

Jusqu’au bouquet final, où, côté costumes, la couleur reprend ses droits, où les rythmes et les mouvements gagnent en verticalité et en rythme, où ils vont vers la fête et la transe sans perdre de leur précision. Au contraire, ils nous paraissent ici plus soumis à des codes qu’avant, et c’est bien de cela que parle STORY WATER: Les relations entre communauté, bonheur et liberté sont complexes et tout à fait paradoxaux, et c’est qui les rend si passionnants.

von Thomas Hahn
Originally published on artistikrezo.com

STORY WATER – EMANUEL GAT ET L’ENSEMBLE MODERN

Emanuel Gat a intitulé sa dernière création STORY WATER. Elle réunit sur une même scène sa compagnie, avec six danseuses et 6 six danseurs, et l’Ensemble Modern de Francfort qui fait rayonner dans le monde la musique contemporaine. Créée dans la Cour d’honneur du Palais de Papes lors du dernier Festival d’Avignon, Story Water se définit selon le chorégraphe israélien comme un dialogue en direct entre danse et musique et non comme une illustration où les pas viendraient se poser sur les notes. Pièce ambitieuse, exigeante pour le public, STORY WATER n’échappe pas à une certaine aridité mais parvient néanmoins à nous attirer dans son univers.

Emanuel Gat a toujours été soucieux de l’interaction entre danse et musique. Musicien lui-même, il n’a cessé d’explorer dans son œuvre les liens intimes entre la partition et la chorégraphie. Le propos dans STORY WATER est de mettre côte à côte deux groupes, celles des danseuses et des danseurs, et à l’arrière-scène les musicien.ne.s de l’Ensemble Modern. Le spectacle se déroule dans une scénographie le plus souvent d’un blanc immaculé. Ce dialogue débute avec deux groupes de six danseurs et danseuses qui semblent davantage chercher le mouvement que l’interpréter. Ils sont en shorts et débardeurs et la lumière de salle n’a pas été éteinte. Tout se passe comme s’ils étaient devant nous en train de construire une chorégraphie. Les gestes sont amples, précis et c’est davantage entre eux que s’opèrent les interactions. Mais tout change avec l’interprétation de la pièce de Pierre Boulez Dérive 2 pour 11 instruments. Cette pièce qu’il a composé en 1988 et revisité 20 ans plus tard est comme une longue phrase ininterrompue sur laquelle se dessine la chorégraphie. Après cette première phase où chacune et chacun semblaient tâtonner, se crée ainsi un ensemble nerveux et harmonieux. Les danseuses et les danseurs ont troqué shorts et débardeurs au profit de sous-vêtements blancs. Les séquences s’ordonnent sur un rythme ininterrompu, fluide comme l’eau et d’une grande élégance.

La partie suivante exige davantage du public. La musique de Rebecca Saunders qui est un Concerto pour contrebasse, laquelle est au milieu de la scène, n’est pas familière à nos oreilles. Elle ne séduit pas dès la première écoute et peut dérouter l’auditoire. La chorégraphie devient à ce moment plus insaisissable et parfois brouillonne, jusqu’au moment où les danseur.se.s reviennent recouverts d’immenses draps blancs portés comme des toges. Et la dernière partie est résolument politique: sur un écran en fond se scène s’égrainent des statistiques désespérantes sur la vie à Gaza où 98% de l’eau n’est pas potable, nous dit-on. Mais la danse à ce moment-là devient toute autre chose. L’Ensemble Modern interprète Folk/Dance écrite par Emanuel Gat. Et malgré la liste de chiffres attristants sur l’enclave palestinienne, le final se veut joyeux, plein d’espoir avec ces mouvements de danse folklorique.

Il n’est pas simple de connecter les différentes parties du spectacle et de saisir le propos. STORY WATER avait pu déconcerter à Avignon où les artistes doivent composer avec les redoutables et immenses murs de la Cour d’Honneur. La salle Jean Vilar du Théâtre de Chaillot lui sied davantage: le spectacle a besoin de proximité avec le public pour se déployer complètement car Story Water est une œuvre complexe qui ne se livre pas facilement.

von Jean-Frédéric Saumont
Originally published on artistikrezo.com

Header photo by Julia Gat