After I tore a muscle bundle in my right calf and almost dropped out of the production, after 7 hard weeks of rehabilitation training, and after a general rehearsal with high fever … we finally did it! Against all odds the world premiere (and the four following shows) of STORY WATER in the absolutely gorgeous Cour d’honneur du Palais des Papes in Avignon went pretty well and the first reviews are in. Have a look at a selection further below.

I also made a little photo album with a bunch of pictures that our great audience, my colleagues and I took during this intense one week at Festival Avignon 2018. Please enjoy!

Photos from STORY WATER at Festival d’Avignon 2018 by Instagram and Twitter users @127polo127, @alichahrour1, @annelaure1818, @annemafavier, @argo_touch, @avignon_authentic_stories, @caroletournay, @cat_andthelight, @cestunautre, @charretcaroline, @cocodollecuratorial, @cvk26, @denisrateau, @eleonore.descollagesimmediats, @emanuel_gat, @emanuseraf, @f.k.s.r, @flo.hed, @francois.bechieau, @giuliesole, @hahparis, @jfgerard, @kasia.faszczewska, @kaszymura, @lautlse00, @mardirosek, @michaelloehr, @mrbonott, @notyet100, @rpanegy, @sarasoldhersoul, @stephaznar, @tatianavakhatova, @teatro_de_la_estacion, @thibault_zindy, @thomasabradley, @wapssa and @yijoon_yang

 

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AVIGNON 2018: EMANUEL GAT, GARÇON D’HONNEUR

Deuxième spectacle présenté dans la Cour d’honneur du palais des Papes après le THYESTE de Thomas Jolly, STORY WATER, pièce exigeante mais superbe d’Emanuel Gat, emporte le spectateur au coeur de la création chorégraphique et musicale. Un des must de cette 72 e édition du Festival d’Avignon.

La blancheur immaculée du plateau défie l’ocre des murs historiques du palais des Papes lorsque chacun gagne sa place. Même le piano est blanc tout comme les costumes des danseurs d’Emanuel Gat et des musiciens de l’Ensemble Modern. Un interprète pose un compteur et c’est parti. Emanuel Gat dit qu’il travaille sur la même pièce depuis vingt-cinq ans. Vrai et faux. On retrouve en effet sa grammaire du geste, précis, ces interactions entre les solistes, ce jeu des contraires qui fait d’un pas de deux une fuite en avant. Mais il y a autre chose qui se déploie dans STORY WATER, à l’image de ces mouvements de nage au sol ou de cette ronde, un sacre du printemps sans élue, sans sacrifice. Une inquiétude aussi qui viendrait troubler le processus chorégraphique.

On comprendra plus tard en assistant à la partie titrée Gaza que tout ce blanc sur scène était peut-être celui du deuil, que ces deux groupes de danseurs séparés avaient à faire avec une frontière invisible. Dans une séquence éblouissante, ils paraissent sur le point de se rapprocher avant de reprendre ce parcours d’électrons libres. STORY WATER connaîtra une apothéose en mouvement, les corps emballés dans des costumes de papier, seconde peau pour des temps incertains avant de retrouver la couleur dans une explosion d’unissons chorégraphiques.

Musicalement, car STORY WATER est tout autant un concert, on va naviguer à vue: du Dérive 2 de Pierre Boulez, visiblement pas au goût de certains dans le public, jusqu’à Fury II de Rebecca Saunders. Le final est encore à part, Folk/Dance étant une composition d’Emanuel Gat avec l’Ensemble Modern. On y chante à voix haute comme pour se libérer, on se console d’un geste partagé. Et l’eau dans cette histoire? Celle du bain ou des pleurs, du déluge qui sait…. Emanuel Gat se garde bien d’être trop explicite. Il propose une expérience du sensible avec ces corps fluides comme happés par la musique live.

Pour sa première participation au Festival d’Avignon, ce chorégraphe israélien installé en France n’a pas choisi la facilité. Mais en affirmant l’exigence d’une danse dont les interprètes sont aussi les passeurs – et parfois les auteurs -, Emanuel Gat s’impose dans la cour des grands. Et la Cour d’honneur.

von Philippe Noisette
Originally published on lesechos.fr

SOUS LE CIEL D’AVIGNON, LA MUSIQUE DES CORPS

Avec STORY WATER, le chorégraphe israélien Emanuel Gat poursuit sa quête de dialogue entre musique et danse. Une pièce exigeante, doublée d’un message politique en soutien à Gaza, qui a séduit la cour d’honneur.

Pour tous les artistes qui s’y aventurent un jour, la cour d’honneur du palais des Papes est un vaste continent à conquérir. Le chorégraphe Emanuel Gat a pris le parti de laisser ce plateau mythique nu, seulement recouvert d’un tapis immaculé, blancheur dont sont vêtus également les dix danseurs et les douze musiciens de l’Ensemble Modern. Absence de couleur, absence de décor, qui offre aux deux langues utilisées ici – la danse et la musique – la possibilité de se déployer pleinement, modelées par une lumière finement travaillée, comme toujours, par le chorégraphe lui-même.

Avec STORY WATER, Emanuel Gat réaffirme sa singularité dans le paysage chorégraphique contemporain. Artiste complet – danseur, musicien, scénographe… –, il continue de développer une écriture chorégraphique subtile et profonde. À l’origine de cette nouvelle pièce, un texte du poète soufi Rumi, qui débute ainsi : « Une histoire c’est comme l’eau… », déroulant la métaphore d’une eau réunificatrice.

Le spectacle, découpé en quatre tableaux, s’ouvre par le plus long d’entre eux sur une composition de Pierre Boulez, Dérive 2. Aux premières notes, les dix danseurs se divisent en deux groupes comme les deux portées d’une même partition. De prime abord, pour l’œil comme pour l’oreille, surgit une impression de désordre au-delà de laquelle va se dessiner de plus en plus clairement une structure complexe.

Elle porte la marque de création d’Emanuel Gat qui, depuis plusieurs années, a abandonné l’idée de transmettre des figures imposées aux interprètes au profit de leur propre matière. À la fois chef d’orchestre et sculpteur, à partir d’un processus dont il ne dévoile pas les secrets, il fait émerger en studio ce qui composera la pièce. Au cœur de ses recherches : l’interaction entre les danseurs dans un espace sans cesse redessiné par leurs mouvements.

À chaque représentation, tout semble se rejouer sur scène comme dans le fleuve d’Héraclite où règne l’impermanence des choses. Avec leurs échanges verbaux et visuels, qui peuvent avoir de quoi déstabiliser le public, les interprètes ne répètent pas une chorégraphie, mais la revivent et la recréent incessamment, lui conférant dans l’instant une profondeur unique. Ils piochent leur vocabulaire dans une palette fluctuante : assez abstraite sur la partition de Boulez, plus frontale et étirée sur Fury, le concerto pour contrebasse de Rebecca Saunders, en deuxième partie.

La technique des danseurs – six femmes et quatre hommes –, mais surtout leur présence, leur engagement dans la performance, leur permettent d’explorer l’éventail des possibilités offertes par le corps, des plus ténues – l’inclinaison d’une nuque, l’ouverture d’une main sur la joue – aux plus amples, ondulation de la colonne vertébrale, pirouettes, battements de jambes, chutes au sol.

Si la technique de chacun impressionne, l’articulation même des groupes – à cinq, puis à dix – force l’admiration. Le frémissement d’une épaule suffit à mettre en mouvement le pied d’un autre interprète qui à son tour entraînera un autre corps dans la danse. Comme les gouttes d’eau dans la masse, les gestes de chacun des danseurs prennent sens et vie dans le mouvement collectif, à l’instar des notes d’une partition.

Le public, lui, laisse ses sens divaguer vers une douce confusion, ne sachant bientôt plus s’il voit la musique, avec ses soubresauts brisant les lignes et ses échappées libérant les bustes, ou s’il entend la danse. D’égal à égal, les danseurs d’Emanuel Gat et les musiciens de l’Ensemble Modern cherchent à établir un nouveau rapport entre danse et musique, où la première n’est pas l’illustration de la seconde, et la seconde ne sert pas de simple accompagnement à la première. Avec des compositeurs comme Boulez et Saunders, le défi n’avait rien d’aisé.

Ce dialogue brillant prend pourtant forme, avec justesse et intensité, dans une courte séquence intitulée « Gaza », fulgurante comme un cri de colère. Pour rappeler, s’il le fallait, que la création chorégraphique, même dans les hauteurs de l’abstraction, n’ignore rien des réalités du monde, Emanuel Gat projette sur la façade du palais des Papes des rafales de statistiques, dont celle-ci : « 98 % de l’eau à Gaza n’est pas potable ». Les interprètes ont quitté leurs étoffes blanches pour des tenues de vie ordinaires et une danse plus terrienne, pieds et poings frappant le sol. Le poème de Rumi se termine ainsi : « Et jouis de ce bain qui te lave/Avec un secret qui nous est révélé parfois/Et parfois non. » Les danseurs achèvent la pièce sur une injonction, la seule qui vaille peut-être : « Danse! », avec toute sa grâce et son mystère.

Né en 1969 en Israël, Emanuel Gat est venu à la danse seulement à l’âge de 23 ans, au hasard d’un atelier de danse suivi au cours de ses études de musique. Installé en France depuis 2007, artiste complet et singulier, il conjugue toujours les complexités du mouvement et de la lumière, qu’il signe à chacun de ses spectacles.

Il compose également les bandes-son de ses créations, comme ici la dernière partie de STORY WATER avec l’Ensemble Modern de Francfort, ou dans BRILLIANT CORNERS (2011), une de ses pièces les plus marquantes. Après une résidence au festival Montpellier Danse, il sera artiste associé au Théâtre national de Chaillot à partir de la saison 2018-2019.

von Marie-Valentine Chaudon
Originally published on la-croix.com

STORY WATER, LE GESTE POLITIQUE ET ORGANIQUE D’EMANUELGAT

Chorégraphe régulièrement invité à Montpellier Danse, Emanuel Gat est programmé pour la première fois au Festival d’Avignon. On lui a confié la Cour d’honneur pour le deuxième spectacle de la 72e édition. STORY WATER est un spectacle exigeant et éminemment politique.

Emanuel Gat ouvre STORY WATER par une pièce musicale de Pierre Boulez. Il fait dialoguer deux quintets de danseurs sous le regard de l’Ensemble Modern de Francfort. Le plateau de la Cour d’honneur est blanc comme neige, tout comme les costumes des musiciens et des danseurs. Le chorégraphe avait imaginé dans un premier temps colorer les corps de ses interprètes comme il l’a fait régulièrement ces dernières années, notamment dans ses Works à Montpellier Danse. La pureté des pierres du Palais des Papes l’en a dissuadé.

Il occupe magnifiquement l’espace ; les musiciens de l’Ensemble Modern sont à jardin, tandis que les deux groupes de danseurs se croisent, en reproduisant à l’identique et en décalage des figures géométriques avec une précision millitrée dans un dialogue avec la musique. Il règne une telle énergie sur le plateau que les danseurs vont vibrer les premiers rangs des spectateurs. A la musique de Boulez succède celle de Rebecca Saunders pour une contrebasse solo. Le musicien prend place au milieu du plateau face à ses collègues musiciens, les danseurs revêtent des tuniques planches en papier mâché. L’envoûtement se poursuit.

Emanuel Gat a surpris tout le monde hier dans le tableau suivant dédié à Gaza et à ses enfants martyrs, lui le chorégraphe de nationalité israélienne. Des chiffres chocs sont projetés sur les murs du Palais des Papes rappelant que 69% des jeunes à Gaza sont au chômage et que 98% de l’eau est non potable. La partition musicale devient plus folklorique, elle s’appelle d’ailleurs FolkDance, elle composée par Gat lui-même et par l’Ensemble Modern. C’est un savant mélange de sonorités méditerranéennes et de l’hymne de la confédération sudiste américaine. Histoire de souligner l’ingérence des Etats-Unis dans la politique israélienne, quelques mois après le déménagement de son Ambassade de Tel Aviv à Jérusalem.

Emanuel Gat livre une chorégraphie énergique et vibrante. Il est là où on l’attendait peut-être pas, engagé politiquement. Il y a très longtemps qu’un spectacle de danse n’avait été autant envoûtant dans la Cour d’honneur du Palais des Papes.

von Stéphane Capron
Originally published on sceneweb.fr

STORY WATER: À AVIGNON, EMANUEL GAT ET L’ENSEMBLE MODERN AFFIRMENT UNE LIBERTÉ CONTEMPORAINE

Sur le plateau de la Cour d’honneur du Palais des papes, blanc comme une feuille encore vierge, le chorégraphe israélien a proposé une structure souple qui éblouit par son audace.

L’horizontalité semble être la clé de voûte de STORY WATER, dont le titre tire son nom d’un poème soufi qui dit en son cœur :

« L’eau, les histoires, le corps,
Toutes les choses que nous accomplissons sont les intermédiaires
Qui dissimulent et relèvent ce qui est caché »

La musique est à égalité avec les danseurs et à l’intérieur, il n’y a aucune hiérarchie. Créé en 1980, l’Ensemble Modern est une formation gérée directement par les musiciens et organisée selon le principe de la démocratie directe. Sur scène, à Cour, l’orchestre se place, tout de blanc vêtu : Saar Berger (cor français), Jaan Bossier (clarinette), Paul Cannon (contrebasse, soliste Fury II), Eva Debonne (harpe), David Haller (percussion), Christian Hommel (hautbois), Stefan Hussong (accordéon), Megumi Kasakawa (alto), Michael M. Kasper (violoncelle), Giorgos Panagiotidis (violon), Rainer Römer (percussions), Johannes Schwarz (basson) et Ueli Wiget (piano). Puis arrivent les danseurs, dont un par une échelle qui pourrait être celle d’une piscine, reliée à l’une des fenêtres basses. Le chef d’orchestre Franck Ollu passe au milieu d’eux pour rejoindre les siens.

Tout est à vue ici, le décompte du temps comme les préparatifs des danseurs qui nous offrent un prologue complètement dément pour commencer. Ils vont créer leur Chorégraphie, ce qui donne le nom de la première partie de la pièce qui en compte cinq. Nous irons de la chorégraphie à la danse en passant par la question centrale de la relation entre le son et le geste mais également la place d’une parole politique dans un spectacle sans mot. L’orchestre joue la musique de Pierre Boulez, de Rebecca Saunders mais également d’Emanuel Gat qui signe aussi la très belle lumière, très blanche et non linéaire de la pièce.

Thomas Bradley, Péter Juhász, Zoé Lecorgne, Michael Loehr, Emma Mouton, Eddie Oroyan, Karolina Szymura, Milena Twiehaus, Sara Wilhelmsson et Tingan Ying sont divisés en groupe de cinq. Chacun d’un côté du grand plateau. Ils sont en quête et l’on découvre des gestes ludiques, techniques et tellement libres de toute convention. Chacun repartira avec son mouvement et pour nous ce fut cette posture en tailleur qui vibre grâce à une imposition des mains. Ah, les mains, si bibliques chez celui qui a quitté Israël en 2007 pour s’installer à la Maison de la danse d’Istres. On les verra hassidiques dans la dernière partie de la pièce et orientales au début.

L’artiste associé au Théâtre national de Chaillot pioche ici dans un universel chorégraphique référencé. Les vrilles de Keersmaeker, la danse libre de Charmatz… Il ne copie pas, il s’inscrit dans son époque et signe là un geste à la contemporanéité folle. Tout dissone, tout se rassemble, il joue de l’humour comme de la beauté (monumentale alliance des corps, souvent au sol et du violoncelle pour Fury II de Rebecca Saunders).

La lumière n’éclaire pas les danseurs qui eux-mêmes n’illustrent pas la danse. Gat diffracte et balance ses douleurs sur ce monde qui contrairement à ses interprètes ne sait pas tourner rond correctement.

Il y a de la générosité dans le propos qui est plus jazz que classique. Les danseurs se regardent tout le temps pour savoir quand lancer leur mouvement. Cela veut dire que la pièce est différente chaque soir, qu’elle ne dure pas exactement le même temps. Du point de vue de l’audace, là, Olivier Py tape très fort dans sa belle programmation 2018.

On rit de gestes tirés de l’univers de la natation ou de jeux d’enfants. Nous sommes saisis par des lignes parfaites et des dos qui incarnent les vibrations des cordes. Plus la pièce avance, plus elle est cohérente dans une allégorie d’une vie en communauté qui fonctionnerait.

von Amelie Blaustein Niddam
Originally published on toutelaculture.fr

EMANUEL GAT, ENTRE MESSAGE POLITIQUE ET BEAUTÉ PLASTIQUE

Le chorégraphe israélien installé à Istres a étonné avec la création STORY WATER qui mêle les genres

Du blanc. Du piano aux tenues des danseurs, en passant par les pupitres des musiciens de l’Ensemble Modern de Francfort, tout est blanc. Jusqu’à la lumière qui donne de la profondeur à l’espace de la cour d’honneur, obtenue avec “des projecteurs vintage”, confiait Emanuel Gat la veille de la création. C’est à peine si une touche de rouge attire le regard, c’est un chrono qui tourne en direct. Cette harmonie a pour effet premier de ne pas distraire de la chorégraphie précise, quoique jouant parfois à sembler improvisée, de Gat que déploient dix danseurs divisés en deux groupes égaux.

Gestes répétés, emballements enfantins parfois, cette danse de la sobriété rencontre la musique de Pierre Boulez, l’épouse, l’englobe davantage qu’elle ne la représente ou accompagne. Les deux fonctionnent ensemble avec parfois des moments heurtés, cassés, ralentis, compliqués mais qui retrouvent toujours le fil de la fluidité. Les danseurs se regardent, échangent parfois des sourires, quelques mots, tombent, appuient sur leurs cuisses, les deux groupes ne recherchant pas la symétrie. On sent la force du collectif,fruit du travail atypique d’Emanuel Gat. STORY WATER est divisé en plusieurs parties dont chaque étape est identifiée, marquée, par des lettres blanches projetées sur le mur du Palais des Papes.

Chorégraphie, musique, people… À la musique de Pierre Boulez, à celle de Rebecca Saunders, puis à la composition d’Emanuel Gat, le chef de l’Ensemble Modern, Franck Ollu, donne autant d’énergie que de sens, en soulignant les aspérités sans les rendre agressives.

Les danseurs se glissent ensuite dans d’impressionnants costumes en papier blanc. Ils ont été conçus par l’un d’entre eux, Thomas Bradley, et donnent à l’ensemble des silhouettes amplifiées, imposantes mais légères. Femmes et hommes ne se distinguent plus, tous semblent évadés de l’imaginaire. Un moment très poétique, très blanc, très plastique que réveille avec soudaineté une quatrième partie intitulée Gaza. La déclaration politique du chorégraphe israélien installé à Istres, prend la forme d’une série de chiffres, de pourcentages et statistiques qui éclairent sur la situation des habitants de la Bande de Gaza : densité (plus de 5 000 habitants par km2), âge (71 % ont moins de 30 ans), situation sanitaire (84% comptent sur l’aide humanitaire pour leurs besoins de base, 98% de l’eau à Gaza est contaminée et non potable). L’eau est un enjeu politique, STORY WATER le raconte aussi.

von Olga Bibiloni
Originally published on laprovence.com

A AVIGNON, EMANUEL GAT S’EMMÊLE LES PAS AVEC STORY WATER

Le chorégraphe israélien présente un spectacle très politique qui finit par s’enrayer.

Chorégraphie en première partie et Danse en conclusion. Pierre Boulez pour l’entrée et grand cri folk en guise de dessert. Sur le tableau monumental des murailles de la Cour d’honneur d’Avignon, les infos s’inscrivent en blanc – en français et en anglais – histoire de donner des indices à l’action qui se déroule en contrebas sur le plateau. Histoire aussi de souligner la progression du propos déjà scandé à la ­seconde par un chrono digital. Vous êtes perdus ? Lisez ! Et voilà un topo chargé sur la situation de Gaza qui pète comme une ­grenade qu’on n’a pas vu venir dans la pièce montée bien lisse du spectacle.
Cette drôle de machine de guerre s’intitule STORY WATER. Elle est pilotée par le chorégraphe israélien Emanuel Gat, 49 ans, installé en France depuis 2007. A l’affiche pour la première fois du ­Festival d’Avignon, et qui plus est chargé d’investir les six cents mètres carrés de la Cour d’honneur, il a visiblement eu besoin de charger son dossier. A côté de Boulez, deux autres compositions musicales soutiennent son entreprise : l’une de Rebecca Sanders, compositrice contemporaine, et la troisième cosignée par Gat lui-même avec l’Ensemble Modern et ses treize musiciens. Dix danseurs occupent le terrain avec vaillance. Mais est-ce le disparate touffu du menu, l’apparente disjonction entre le groupe et l’orchestre qui semblent opérer chacun de son côté, la sensation d’un élan sans cesse bloqué? STORY WATER, contrairement à son titre, est laborieux et laisse perplexe.

Cet opus détonne à tous les niveaux dans le parcours d’Emanuel Gat, régulièrement programmé depuis 2008 au festival Montpellier Danse. Et ça, c’est tout de même une excellente nouvelle. Courageusement, s’il affirme dans le programme qu’il fabrique la même pièce depuis vingt-cinq ans – ce qui est loin d’être faux ! –, il a sérieusement perturbé ses habitudes. Depuis sa première apparition en France, au début des années 2000, au festival Uzès Danse, où son SACRE DU PRINTEMPS, partie de chasse salsa sur la partition de Stravinsky, avait fait sauter les boutons du sacrifice tribal initial, ses spectacles se faufilaient sur du jazz versant Coltrane, de l’électro selon Awir Leon, mais aussi du Schubert et du Mozart.
En choisissant Pierre Boulez et sa débordante Dérive 2 pour onze instruments, ainsi que Rebecca Sanders, dans Fury II, un concerto âpre pour contrebasse solo et ensemble, il opte pour un déroulé musical concassé, accidenté, loin du flux souple et de l’énergie solaire qu’on lui connaît.
Son écriture, long tricot flexible de pas et de corps, en prend un coup. Le kaléidoscope fluide et huilé qui est sa signature se segmente et s’émiette comme des confettis sous les assauts répétés des sons qui strient l’air. Paradoxalement tranchante et luxuriante, imprévisible et structurée, faisant corps toujours, la partition de Boulez télescope les rythmes, les effondrements rapides et les assauts nerveux, les coups de griffes du violon et les rebonds pneumatiques des percussions. La chorégraphie tente (trop) d’y répondre en engageant une compétition qui l’assèche. Les enchaînements se crispent, les jointures craquent et le groupe s’effiloche sur l’immense plateau. La répétition en boucle d’un cycle gestuel trop repérable, même si toujours inventif et reconduit sous différents angles dans l’espace, finit par s’enrayer.

La question politique, frontalement lancée dans le spectacle en comptant sans doute sur l’amplificateur Avignon – il faut dire que le Palais des papes est un sacré haut-parleur physique et symbolique – surprend aussi chez cet artiste peu engagé, du moins dans son œuvre. A l’exception de son duo d’hommes Ana wa enta, présenté en 2003 au festival d’Uzès, sur la musique de l’Egyptien Farid Al Atrash, celui qui a toujours tranquillement revendiqué être un Israélien travaillant avec des Palestiniens, prend rarement position sur les plateaux.
Avant qu’il choisisse la France avec sa famille en 2007, on l’avait rencontré dans sa maison, située à la campagne, au sud de Tel-Aviv, à quelques kilomètres de Gaza. En 2011, il expliquait ainsi son choix : « C’est pour pouvoir travailler dans de bonnes conditions. »« Il s’agissait d’un désir de changement profond, ajoutait-il. J’avais besoin d’une autre culture, d’un autre environnement que celui d’un pays en état de guerre permanente. » Il rappelle ici la situation de Gaza à travers quelques chiffres terrifiants projetés sur scène : deux millions de personnes y vivent, 98 % de l’eau n’est pas potable…

STORY WATER est tiré d’un poème soufi. « Une histoire, c’est comme l’eau que tu fais chauffer pour ton bain. Elle porte les messages entre le feu et ta peau. Elle permet leur rencontre et tu en ressors lavé. » La lecture de ce texte, dans le programme, souligne le besoin de faire dialoguer à égalité les gestes, les sons, les émotions. Cette circulation opère en grande partie grâce aux regards sans cesse échangés entre les danseurs qui testent le fil élastique de leur mouvement en permanence. Plus ténu est le lien entre eux et les musiciens en dépit de la présence au centre de la scène du contrebassiste pour la partition de Rebecca Sanders.
Le dernier tableau, Danse, comme on débouche une bouteille de champagne, rassemble la communauté. Les danseurs font face les yeux dans les yeux au public, renouant, comme dans nombre de spectacles chorégraphiques aujourd’hui, avec la tradition et le folklore. Claques sur les cuisses et les mollets, sauts de cabris, ils chantent aussi en chœur avec les musiciens Dixie Land, l’hymne officieux des sudistes pendant la guerre de Sécession aux Etats-Unis. Les interprètes ont changé leurs costumes blancs contre des débardeurs et des shorts multicolores. Retour aux racines, à la joie simple de la danse collective, de se présenter nature sur scène comme on est dans la vie. Traversée du temps, entre ronde enfantine et composition savante, STORY WATER n’a pas fini de surprendre.

von Rosita Boisseau
Originally published on lemonde.fr

STORY WATER EN COUR D’HONNEUR. UN BEAU RISQUE…INACHEVÉ.

Il y a eu hier soir une belle prise de risque en Cour d’Honneur avec STORY WATER, mettant la musique contemporaine (Pierre Boulez, le mathématicien et Rebecca Saunders, la révoltée) au centre d’une heure austère et passionnante. L’Ensemble Modern, une phalange renommée et le chorégraphe Emanuel Gat ont ensuite consacré quelques minutes à parler politique (le sort de Gaza) puis folklore (une composition en forme de “récréation” pour les danseurs, co-signée par les deux protagonistes). ***

C’est la troisième réussite (même avec quelques bémols pour le final) de la programmation danse, assez remarquable cette année avec Sasha Waltz (KREATUR) et François Chaignaud (ROMANCES INCIERTOS), sans compter quelques grosses pointures (pas vues) comme l’Espagnole Rocio Molina ou l’Allemand Raimund Hoghe, le dramaturge de Pina Bausch.

Le point de départ de STORY WATER est un poème soufi qui vante l’eau qui “porte les messages entre le feu et ta peau”, une métaphore à plusieurs interprétations. Le corps des danseurs et/ou la musique sont eux aussi des “porteurs d’eau” qui nourrissent l’imaginaire collectif du groupe danseurs/musiciens, en échange constant, actif, sur pied d’égalité dans cette Cour d’Honneur. Les musiciens de l’Ensemble Modern font plus que partager la scène, ils l’occupent à part égale avec les danseurs et sont éclairés comme eux dans un long “plein feu” solaire. Une mise en espace qui permet soit d’observer la construction progressive de cet échange, soit d’écouter et “voir” la musique de Boulez (Dérive 2 pour 11 instruments) ou de Rebecca Saunders (Fury 2 pour contrebasse solo et ensemble) interprétée par ce merveilleux ensemble de Francfort. Une qualité “Ars Musica” qu’on n’attend pas en Cour d’Honneur et qui m’a personnellement ravi mais a fait fuir une(très) petite partie du public de la première. Face à nous, deux groupes de 5 danseurs (3 femmes, 2 hommes) en tenue blanche, commencent par faire leurs gammes avec des gestes simples, répétitifs et légèrement différents d’un groupe à l’autre. Ce qui permet de repérer à la fois la “grammaire” des gestes et les qualités individuelles.

Les 45 minutes de Boulez, divisées en un prologue et 2 chapitres sont soudain dynamisées par la “furi” de Rebecca Saunders qui réunit soudain les 10 danseurs, avec la contrebasse au milieu de la scène, en un échange plus concret, plus physique, plus dynamique aussi. Belle réussite commune d’Emanuel Gat et des musiciens. Musique contemporaine certes, avec ses dissonances mais le dialogue gagne en intensité, en sensualité et donc en intérêt. La scénographie se fait moins austère et les danseurs, tous sexes réunis, revêtent d’énormes robes blanches qui rejoignent un des thèmes du festival, le genre, tendant vers le féminin. Soudain, après 1 heure, un quatrième chapitre se fait jour sur le sort de Gaza, après un mini-chapitre humoristique sur “People”. Des chiffres terribles s’affichent sur la misère qui y règne et la musique désormais composée conjointement par Emanuel Gat et l’Ensemble Modern prend un régime plus harmonieux alors que les danseurs s’habillent de couleurs. La fin est encore plus inattendue. C’est “Dance”, sans chichis sans manière, la troupe et l’Ensemble sifflent la récréation et se mettent à danser en groupe sur des airs folkloriques comme s’ils devenaient un peu “people”, comme pour amadouer le public. J’ai personnellement peu apprécié le contraste entre la défense de la musique contemporaine de la 1ère heure, au risque de se faire siffler, la courageuse prise de position sur Gaza et la concession folklorique finale qui ne dupe ni le “grand public” (qui part poliment) ni les amateurs de risque artistique. J’ai le souvenir d’Anne Teresa de Keersmaecker à la fois sifflée et applaudie à grands cris d’enthousiasme pour son MOZART ARIAS, dans les années 90. La préhistoire? Deviendrait-on frileux en Cour d’Honneur? Audacieux, courageux pendant 1 heure 10, prudent les 10 dernières minutes? Drôle d’époque. Dommage, mais saluons avant tout ce beau dialogue égalitaire musique/danse.

von Christian Jade
Originally published on rtbf.be

STORY WATER , UNE DANSE LIBRE

Emanuel Gat, découvert en Israël par Didier Michel, ancien directeur du Festival Uzes Danse, a fait un long voyage qui l’a mené sur les scènes du monde dont le Festival de Montpellier danse, indéfectible soutien du chorégraphe, jusque sur la scène du Palais des Papes, dans la Cour d’honneur avec un orchestre qui interprète, entre autres, une œuvre de Pierre Boulez en direct. Quel parcours et quel spectacle!

Disons le tout de suite, STORY WATER est une réussite. Ce n’est pas qu’Emanuel Gat ait « apprivoisé le mur » de la cour comme le veut l’usage. Il joue devant. Il s’en sert comme d’un écran pour égrainer, au fil de la pièce, des indications sur le déroulement du spectacle mais aussi, on le verra, des informations sur la situation à Gaza et de ce point de vue, de la part d’un artiste israélien, c’est assez audacieux. On sait le sort de ses confrères comme Arkadi Zaides qui est depuis ses prises de positions en faveur de la Palestine assez mal vu dans son pays…

Tout est blanc, le sol, les costumes, les instruments de l’orchestre Modern placé à cour, face au grand mur. Dès le début, on sait qu’Emanuel Gat ne se prend pas au sérieux et la traversée du chef pour rejoindre sa place montre que l’humour n’est pas exclu de ce travail qui s’avèrera léger, inventif et fluide.

Une dizaine de danseurs sont allongés sur le sol en deux groupes. Emanuel Gat aurait pu écrire, pour son premier passage dans la Cour, une chorégraphie faite d’ensembles bien écrits, de portés spectaculaires et de tout un tas de choses dont il est capable, mais il préfère poursuivre sa route là où on l’avait laissé avec sa dernière pièce, offrant à voir une danse libre, une danse joyeuse, peu formelle, peu académique, ce qu’on aurait pu craindre avec la musique de Boulez… et ce qui est rare ici, c’est que le combat entre la musique et la danse se passe dans un réel équilibre. Tout semble à sa place.

Cinq parties marquent STORY WATER. La première Danse durera dix minutes. Elle est comme indiquée, très libre, vive sans être ostensiblement énergique. Les danseurs en sous-vêtements font une ronde, digne de La Danse de Matisse… Ce moment laisse place à la seconde partie Musique. On apprécie l’écriture du chorégraphe avec des quatuor qui se répondent, des duos qui interagissent. Emanuel Gat prend définitivement le risque d’une danse très déliée, assez personnelle où chaque danseur apporte sa pierre à la chorégraphie et il faudra donc attendre quarante minutes pour que le chorégraphe ose un ensemble de dix danseurs qui se rejoignent pour se partager de nouveau en deux groupes. Il se permet même le silence et la Cour résonne de la musique de Boulez pour se préparer à entendre une œuvre pour contrebasse et orchestre de Rebecca Saunders.

C’est le début de la troisième partie intitulée People – les gens. Ce n’est ni classique, ni formel, c’est purement contemporain avec une humanité certaine, avec quelque chose de vivant, fluide, gai, jubilatoire et même si on n’est pas fan au début de ces costumes-oripeaux blancs dont les danseurs vont se revêtir pour cette séquence. Heureusement, ça ne dure pas. La quatrième partie est la plus politique, le chorégraphe l’a intitulée Gaza. Devant l’immensité du mur et face aux nombreux spectateurs, des chiffres, des statistiques qui tombent comme des évidences. La situation à Gaza est déplorable, semble sans issue.

C’est Emanuel Gat, artiste, d’origine Israélienne, juif lui-même, qui le dit. C’est un moment fort du spectacle. La danse à ce moment est universelle. Elle vient du monde entier. Elle annonce la dernière partie qui met fin à 76’ d’une course poursuite pour une histoire, celle de l’eau, celle de la vie. L’orchestre, impeccablement dirigé par Franck Ollu, a tenu son pari d’être là pour la danse, au service de ce projet ambitieux, réussi, dirigé par un Emanuel Gat en pleine possession de ses moyens, homme-orchestre puisqu’il signe les lumières et la scénographie, délivrant une danse vivante et contemporaine, comme quoi c’est possible.

von Emmanuel Serafini
Originally published on inferno-magazine.com

UN JOLI “TEMPS PRÉSENT”

Emanuel Gat inscrit un geste éblouissant dans la Cour d’honneur avec le concours de l’Ensemble Modern. Inspiré par un poème soufi évoquant l’eau, le chorégraphe partage avec élégance son plateau entre danseurs et musiciens, tous de blanc vêtus, l’image est belle, la lumière très solaire.

En quatre parties l’artiste israélien distille son savoir-faire. Une pièce pour dix danseurs, tantôt mêlés en seul corpus, tantôt en deux groupes de cinq interprètes, chacun d’entre eux dans la justesse d’un mouvement répété ou improvisé accompagné par l’Ensemble Modern, une des grandes références en matière de musique contemporaine, des artistes remarquables dans d’exigeantes partitions. Le trait est magistral… l’écrin est parfait, tout s’invente, se crée et disparaît. Un spectacle majoritairement bien reçu mais il fallait bien quelques huées à ce Festival… C’est dommage car le spectacle ne les mérite pas, mais le festivalier de la Cour s’arroge toujours certains droits clairement déplacés, comme des remarques assez croustillantes: « Ah, mon Dieu, cette musique dissonante ça m’a fait mal aux oreilles »… Boulez reste Boulez et ne mérite pas de Boules-Quies ! « Si ça c’est de la danse contemporaine, alors Preljocaj fait du modern-jazz »

Là, on ne peut plus faire grand-chose, des goûts et des couleurs, il pourrait y avoir débat pendant des heures, mais faute de pouvoir l’élever, on s’abstiendra ! Quitte à faire une comparaison, choisissons Béjart, Maurice de son prénom… pour un joli “temps présent”.

Un temps que prend le chorégraphe israélien pour inscrire sur le mur du Palais les terribles statistiques d’une situation humanitaire catastrophique dans la bande de Gaza…

von Sophie Bauret
Originally published on ledauphine.com

STORY WATER D’EMANUEL GAT & ENSEMBLE MODERN : LA COUR D’HONNEUR À LA SOURCE

STORY WATER, une rencontre possible entre la danse et un ensemble de musique? Emanuel Gat et l’Ensemble Modern succèdent à Thyeste, mis en scène par Thomas Jolly, dans la Cour d’honneur. Dans cette performance, un sentiment d’incompréhension laisse place à une libération que seule la danse, avec ses interprètes, est peut-être capable de nous faire vivre.

STORY WATER, « une histoire, c’est comme l’eau que tu fais chauffer pour ton bain*. », une eau qui tente de frayer son chemin à travers notre peau imperméable avant de nous emporter dans son mouvement et sa clarté.

STORY WATER ou une traversée en cinq parties.

Choregraphy // Chorégraphie
Music // Musique
People – En français ? Hmmm
GAZA
Dance! // Danse !

Premier mouvement: Chorégraphie

Dans cette première partie, Chorégraphie, titre qui sonne un brin provocateur tant la structure paraît inexistante, nos yeux se familiarisent avec les gestes de ces dix danseurs et danseuses, répartis en deux groupes. Ils glissent d’un danseur à l’autre, comme le mouvement se propage entre ces corps. C’est une succession de gestes, alternant vitesse et lenteur, repos et mouvement, un flux qui circule dont nous sommes encore simple spectateur, essayant de comprendre cette mécanique, ce jeu, ce travail en cours. Ce sont des lignes tracées, des gestes du quotidien affirmés et transcendés. C’est un fourmillement, un tourbillon dans lequel nous pouvons nous perdre sans en saisir l’essence. Ces deux groupes s’amusent ainsi avec leurs propres règles, sans nous inclure. Les regards, intenses sur le plateau, ne nous parviennent pas. Nous acceptons ce jeu mais nous restons extérieurs.

Emanuel Gat, lors des rencontres Recherche & Création de l’ANR, explique son intention : « J’essaie de préserver sur le plateau des danseurs en étape de travail ; le danger, pour moi, c’est que cet état disparaisse et soit remplacé par une chorégraphie fixée, calée, automatisée, et des interprètes qui savent ce qui va se passer ». C’est à cet endroit que nous pouvons trouver nos billes pour comprendre cette première partie, y trouver son ampleur et son importance.

Deuxième mouvement: Musique

Nous poursuivons alors notre chemin vers une deuxième partie, Musique, qui fait éclore une construction, un début d’organisation des éléments furtivement aperçus lors de la première partie. Nous marchons dans un paysage qui nous semble familier sans être complètement connu. Nous ressentons l’intensité du travail fourni sur le plateau, avec ces contraintes, ces règles et sa technique nécessaire. Seulement, nous ne nous sentons toujours pas inclus, les regards restent connectés entre les danseurs mais ne parviennent pas jusqu’à nous.

Ces deux premières parties sont accompagnées de l’œuvre Dérive 2 pour onze instruments de Pierre Boulez. Œuvre difficile d’approche, et difficile à écouter, se mariant cependant avec la présence des danseurs. Nous nous demandons si l’ensemble guide les danseurs ou si ce n’est pas l’inverse. Nous pouvons regretter le manque d’interaction visible entre ces deux groupes sur le plateau, bien séparés dans le dispositif scénique. Il faudra alors se brancher sur une fréquence plus sensible pour recevoir ce dialogue indéniablement présent. Si nous parvenons à discerner cette écoute fine, presque furtive parfois, quelle joie de remarquer soudainement le bras du chef d’orchestre en accord parfait avec le mouvement d’un danseur.

Et soudain, le silence. Après 45 minutes, pouvant parfois être laborieuses à écouter et regarder, nous apprécions ce moment de répit, les corps des danseurs continuent de vivre, lentement, simplement. Nous sommes justement capables d’estimer le temps écoulé grâce à un chronomètre clairement posé sur une fenêtre de la Cour, cet indicateur, ce repère, peut-être nécessaire, car on tient, on attend la suite.

« Le sentiment de satiété nous vient
Mais il faut du pain
Pour le provoquer. »*

Troisième mouvement: People

Nous observons Paul Cannon, contrebassiste, s’installer dans l’espace jusqu’à présent dédié aux danseurs. Un nouveau lien possible entre ces deux mondes ? Une première note, et l’œuvre de Rebecca Saunders, Fury II, un concerto pour une contrebasse solo et un ensemble, résonne dans la Cour d’honneur. La troisième partie, People, est déjà commencée. Le travail et la construction se poursuivent, se révèlent, se subliment, toujours avec leurs règles et contraintes. L’immersion du contrebassiste parmi les danseurs amène plutôt un pont visuel, sans provoquer un changement dans l’interaction et le dialogue entre ces deux entités.

Dans les deux premières parties, nous naviguions dans un paysage immaculé, stérile : des costumes ajustés, blancs, conçus par Thomas Bradley, aussi bien pour les danseurs que pour les musiciens, des projecteurs renvoyant une lumière blafarde rappelant celle des hôpitaux ; seule la couleur rouge du chronomètre contrastait dans cette atmosphère, puis, dans la deuxième partie, des bouts de chairs apparents. Grâce au changement de costumes de la troisième partie, toujours blancs, mais maintenant amples, nous trouvons une certaine satisfaction. Au service du mouvement des performeurs, ils apportent une nouvelle dimension, un débordement du cadre instauré. Mais nous ne sommes toujours pas satisfaits, rassasiés.

Quatrième mouvement: GAZA

GAZA. Ce sont des phrases projetées, des faits tape-à-l’œil, probablement pour choquer ou sensibiliser aux problématiques de la bande de Gaza. La musique est puissance, avec des coups de tambours lancés à chaque nouvelle phrase : « Le taux de chômage est de 49 %, et 69 % parmi la jeune génération » ; « 98 % de l’eau à Gaza est contaminée et non potable » ; « 60 % des enfants sont anémiques ». C’est une incompréhension. Pourquoi, soudain, ces phrases, ces données, sont-elles « scandées » ? Nous sommes interloqués, peut-être énervés de ce message politique, après les premières parties que nous avons éprouvées, supportées avec les interprètes sur le plateau. Nous espérons en comprendre la portée et le sens.

Sur cette première heure, une interrogation subsiste: le but de la création lumière. Nous sommes surpris d’un noir soudain et imprévisible, d’un plateau à moitié éclairé où les danseurs sont moins visibles. Mais finalement, n’est-ce pas l’intention d’Emanuel Gat et de Guillaume Février à la direction lumière de nous piquer, de nous provoquer, de nous déranger, pour mieux nous emporter dans une dernière partie où toute crainte disparaîtra ?

« Et jouis de ce bain qui te lave
Avec un secret qui nous est révélé parfois,
Et parfois non. »*

Cinquième et dernier mouvement: Danse!

Finalement, Danse!. C’est une libération, un souffle, un trop-plein d’émotion arrivant instantanément : nous ne pouvons nous contenir après tant de contraintes. L’extase et la joie sont là. Les danseurs reviennent sur le plateau, costumes colorés et contemporains ; ils nous transmettent leurs sourires et leur bonheur de danser. Sur une création musicale commune à Emanuel Gat et l’Ensemble Modern, « FolkDance », nous partageons ce moment de notre siège, mais l’envie de les rejoindre est prégnante. Et nous comprenons, nous acceptons, nous apprécions ce que nous venons d’expérimenter dans son entièreté. Car la danse, comme l’eau, trouve son chemin et les infimes interstices possibles pour nous mouvoir, nous déplacer et nous faire vivre.

«STORY WATER plonge un regard profond et serein dans l’espace où musique et chorégraphie se rencontrent, intermédiaires offerts vers un espace que chacun pourra arpenter, comme on traverse un jardin. »* Cette phrase pourrait résumer le ressenti à la sortie du spectacle, une sensation qui restera et continuera à s’infuser en nous. Pour recevoir ce cadeau, il faudra être patient, attendre les dernières minutes de cette performance, et ainsi éprouver la puissance et la force de STORY WATER.

* Extraits de The Essential Rumi Coleman Barks, et de la note d’intention.

von Vincent Pavageau
Originally published on profession-spectacle.com

STORY WATER D’EMANUEL GAT AU FESTIVAL D’AVIGNON

Story water dans la Cour d’honneur

Le travail d’Emanuel Gat est celui d’un orfèvre du geste. Jamais spectaculaire ou prétentieuse, de son inoubliable Sacre du printemps à cette création mondiale pour le Festival d’Avignon, son écriture chorégraphique va toujours chercher dans la reprise des mouvements une infime variation. STORY WATER pourrait être sous-titré « comment nous parvient la danse ? »

Partition dansée

Les dix danseurs d’Emanuel Gat prennent place sur le plateau. L’un d’eux, rentre par l’une des fenêtres laissées ouvertes. Il met en marche un compteur rouge. Le temps que nous passerons ensemble, ici, nous est donc compté. Ensemble Modern, l’orchestre avec lequel collabore l’équipe, est en place, attend son chef. Comme au concert, ou à l’opéra, c’est lui qui rentre en dernier. Il lève sa baguette et tout commence. Sur la partition de Dérive 2 de Pierre Boulez les interprètes danseurs reprennent sans cesse les mêmes gestes : saut d’enfants, glissades, citations de danses folkloriques. Ils se regardent, comme on aura vu rarement sur un plateau, avec curiosité, bienveillance et joie de danser. Les enchainements se reprennent, par groupe de cinq, mais ils s’épanouissent, se corrigent, sont plus dynamiques ou au contraire plus en deçà dans la force de l’exécution.

Jamais tout à fait différente, jamais tout à fait la même, l’écriture de Gat est passionnante tant elle nous demande une précision dans le regard. Lorsque le violoncelliste Paul Canon, se place au milieu des danseurs pour interpréter Fury II Rebecca Saunders, on est saisis par l’intensité du dialogue entre la musique et la danse. Entre la note et le geste, qui ne sont jamais qu’une grammaire différente de la transcription d’une émotion, d’une pensée, l’échange est riche. Il s’agit de faire voir la musique et de faire entendre la danse, sans distinction de hiérarchie. C’est bouleversant d’intelligence et de beauté.

Déconstruction émotionnelle

Emanuel Gat fait le choix audacieux de découper le spectacle en parties, en jouant sur les ruptures et en déconstruisant l’émotion des spectateurs. Les titres de celle-ci s’affichent au fur et à mesure sur l’imposante façade intérieure de la Cour d’Honneur du Palais des Papes. Chorégraphie, Musique, Danse, autant de termes qui semblent bien connus de ces murs qui semblent même les avoir toujours attendus. Que cette fonction de les accueillir depuis tant d’années maintenant était inscrite dans leur histoire millénaire. Mais Emanuel Gat ne s’arrête pas là. Il fait projeter les mots Peuple et Gaza. S’ensuivent toute une série de chiffres, de pourcentages décrivant les conditions de vie des Palestiniens dans la bande de Gaza, plus particulièrement les enfants. Il est vrai, admettons le, que le procédé peut paraître naïf ou trop attendu. Mais au fond, quand on connaît le regard précis, cette concentration particulière que l’on a dans une salle de spectacles (et qui ont été sollicités par le travail si exigeant de Gat), alors ces phrases prennent une autre force. Nous nous en souviendrons, elles ne seront plus jamais perdues dans le flux continu et étourdissant des informations qui nous parviennent.

Vers la joie

À cette partie qui semble être la plus engagée politiquement, succède la dernière partie du spectacle. Et c’est là que tout prend sens. C’est là qu’est la force politique de STORY WATER. L’ascèse musicale de Boulez et de Saunders laisse place à Folkdance, composée par Ensemble Modern et Gat lui même, un hommage aux sonorités des musiques populaires juives. La pureté monacale des blancs et gris des costumes de Thomas Bradley est remplacée par les couleurs joyeuses d’habits tout à fait quotidiens. Et enfin, et surtout, les gestes qui jusque là avaient été comme retenus, se développent, plus rapides, plus forts, plus joyeux. Tout prend place, tout se révèle. Le plaisir de danser, la joie d’être ensemble et cette idée sublime qu’il faut du temps pour construire cette joie et ce plaisir. Jusqu’alors cloués sur nos fauteuils, saisis par la pureté et la modestie de la danse de Gat, les spectateurs n’ont qu’une envie : se ruer sur le plateau. Et l’on sort le sourire aux lèvres se rappelant pourquoi l’on fréquente si souvent les salles de spectacles : pour trouver ces rares et courts instants où se crée une assemblée joyeuse d’être unie par l’Art. Gat inscrit son nom au fronton des plus grands chorégraphes qui ont investi la Court d’Honneur.

von Thomas Cepitelli
Originally published on theatrorama.com

FESTIVAL D’AVIGNON: STORY WATER D’EMANUEL GAT

Sur une crête entre musique et danse, une composition à la taille de la Cour d’honneur, portée au comble de la maîtrise. Egalement une interpellation politique, aussi cinglante qu’elle laisse perplexe.

A Gaza, 98 % de l’eau destinée à la population est non potable. Le chômage frappe 69 % de la jeunesse. 84 % des habitants dépendent de l’aide humanitaire pour la satisfaction de leurs besoins élémentaires. Etc. Cette liste, très parcellaire, de données statistiques accablantes, n’est pas tirée d’un tract pro-palestinien. Nous l’aurons recopiée telle que lue sur les murs de la Cour d’honneur du Palais des papes d’Avignon, alors que ces données s’y trouvaient projetées en lettres géantes.

Cela survenait au coeur de la pièce STORY WATER, d’une façon remarquable, au moins à deux titres. D’un point de vue dramaturgique d’abord: cette interpellation très directement politique venait trancher, sans que rien ne la laisse présager, dans une pièce qui, depuis plus d’une heure, se développait sur le mode de la stricte composition abstraite et formaliste, qui est celle habituelle chez Emanuel Gat, le chorégraphe de cette pièce. A priori, rien ne prédestine cette esthétique à la brusque interpellation du concret. Encore moins à la dénonciation.

Il faut aussi mentionner cet autre point, contextuel: quoique résidant en France depuis de longues années, Emanuel Gat est israélien; son geste sera venu ponctuer de manière éclatante un été polémique, voyant la saison culturelle France-Israël vivement contestée par certains milieux militants (et/ou artistiques), prônant son boycott. Cela tandis que des programmateurs et créateurs en soutenaient, au contraire, le bien-fondé, expliquant qu’ils n’avaient à se soucier que de “l’artistique”.

Devant les deux mille spectateurs avignonais chaque soir, Emanuel Gat aura démantelé cet argumentaire dualiste, opposant l’artistique et le politique (renvoyant, accessoirement, ce second registre à des menées antisémites supposées). Tout cela n’est pas mince, alors que l’édition 2018 du festival d’Avignon avait choisi d’ignorer toute mention au cinquantième anniversaire de Mai 68; pareille option n’était donc en rien synonyme d’un renoncement politique. Cela jusque dans la Cour d’honneur, au moins ces quelques soirs, avec Emanuel Gat.

Sa pièce s’en est-elle trouvée fondamentalement altérée? Une fois achevé ce tableau intitulé “Gaza”, le quatrième et dernier de la pièce enchaîne. Il s’annonce par un seul mot, projeté en format géant. On lit: Dance! Des réminiscences folkloriques aux accents joyeux très assumés, prennent alors le relais. Comme si de rien n’était. Toutes les interprétations possibles s’en trouvent ouvertes. Cela autorise donc tout type de commentaire: pour notre part, nous aurions mieux compris que le mot Dance ne s’accompagne pas d’un point d’exclamation. Plutôt que d’en surjouer l’exultation, cette plus grande sobriété dans l’énoncé en aurait accentué la sourde puissance. Perplexité comprise.

Mais enfin, STORY WATER constitue, en effet, une ode magistrale à la danse, acte de foi et de haute maturité de la part d’un artiste parvenu au comble de la maîtrise. Une dizaine de danseurs, et directement sur scène une douzaine de musiciens (de l’Ensemble Modern, une formation allemande) y évoluent dans une triangulation qui implique par ailleurs l’architecture acérée et implacable de la Cour d’honneur. La chorégraphie lumineuse, également conduite par Emanuel Gat, y déverse des plans francs, heurtés de transitions vigoureuses.

Successivement empruntée à Pierre Boulez (sa pièce Dérive 2) et, dans une veine proche, Rebecca Saunders (Fury II), la composition musicale s’entend vaste et abrasive, tout en exigente acuité. De grandes lignes de tension, un souffle aride et puissant, emportent cette longue pièce, toute à la hauteur du site d’exception pour lequel elle a été créée. La composition chorégraphique a ces mêmes qualités, de structure rigoureuse portée sur la crête du qui-vive. Tout y semble absolument maîtrisé, et pourtant jamais rien ne s’y complait dans un leurre de stabilité. Une page s’achève, qu’il faut dèjà tourner la suivante, et les principes s’affirment, les logiques s’approfondissent, en même temps que tout se renouvelle.

Il n’y a jamais rien de frontal, de symétrique, ou de centré, dans les lignes d’exposition de cette danse. C’est dire qu’elle se développe dans une organicité des espacements et des reliements, où chaque danseur paraît un pôle d’aimantation dynamique au regard de ses partenaires, tour à tour disséminés, agrégés, dilués, condensés, balayés. Les gestuelles respectives se développent en phrases brèves, incisives, fortement accentuées et ponctuées. On y lit et on y entend des points virgules, des points d’exclamation, double point, et, beaucoup de points de suspension aussi.

Les trajectoires sont empressées, elles zèbrent et froissent l’espace, qui frémit ou bien se gondole dans un chahut molléculaire et gazeux. On soupçonne une partition constamment remise à l’essai, ouverte à l’inflexion du flux comme à l’appel de l’imprévu. Il y faut un engagement impressionnant des danseurs, de tous les instants, par effleurements cathartiques, traversées d’abymes soudains de silence – et la Cour est alors immensément muette – et grands effondrements au sol.

A plusieurs reprises, les danseurs de STORY WATER adoptent ainsi, tous ensemble, la position de gisants déposés. Ces grandes absences contrastent avec une rhétorique gestuelle sans cela volubile (ce qui n’est pas synonyme de bavarde). On se gardera de vouloir faire rendre un sens littéral et explicite à cette danse. Toutefois, ces tableaux figés, presque mortuaires, ont pu nous sembler faire alerte sur les menaces du monde, au regard de quoi la référence très explicite à la situation des populations de Gaza serait une déclinaison circonstancée.

von Gerard Mayen
Originally published on dansercanalhistorique.fr

Header photo by Julia Gat