On the occasion of our latest performance of the Emanuel Gat / Awir Leon collaboration piece SUNNY at Opéra de Rouen – Théâtre des Arts, Vinciane Laumonier talked with Emanuel about the creation process behind the show and his general views on choreography, music and lighting. The interview was held and published in French, please read below.

Our last performance of SUNNY this year will be on November 28th in Mulhouse, France. Find more tour dates for 2018 and more information about the show on the SUNNY Portfolio page.

ENTRETIEN AVEC EMANUEL GAT

Le titre de ce spectacle est né d’une coïncidence. Pouvez-vous nous en parler?

J’ai lancé un travail avec mes danseurs qui avaient choisi la chanson Sunny de Marvin Gaye comme point de départ. C’est ainsi que nous fonctionnons, à partir d’un texte ou d’une musique qui permet de déployer notre recherche. De son côté, François, alias Awir Leon, qui assure la bande son du spectacle, se penchait sur une reprise de ce même morceau, sans que je sache. Cette base de départ était le fruit du hasard et cela nous a paru évident de donner ce titre à notre création, comme un clin d’œil.

Qu’aviez-vous envie de travailler et de proposer avec SUNNY?

L’envie principale était de ne proposer un spectacle sur une musique mais d’avoir la musique et la danse à l’œuvre, en parallèle. Il ne s’agissait pas d’unir ces deux éléments mais de les laisser s’ouvrir de façon autonome et d’observer leurs points de contact, les dialogues possibles entre eux. SUNNY est un peu comme une explosion d’idées musicales et chorégraphiques. Je poursuis, au fond toujours la même démarche dans mes créations. J’aime fair du plateau un espace de recherche.

La musique tient une place importante dans tout votre travail chorégraphique. Comment la ressentez-vous?

À chaque pièce, j’essaie d’approcher la musique sous d’autre angles, en matière de contenu et de diffusion: son, silence, bande-son fixe ou créée en direct. La musique a pour moi la même logique que la danse, même si cette dernière est forcément plus concrète car visuelle et incarnée. Mais je vois fondamentalement aucune différence entre elles. Elles sont toutes les deux traversées par la composition, le rythme, le contrepoint. Musique et chorégraphie sont deux entités au langage commun qui superposent les sensations et je les aborde de la même manière. Pour BRILLIANT CORNERS, par exemple, que j’ai créé en 2011, j’avais écrit tout ‘a la fois, chorégraphie et musique originale. Et pour PLAGE ROMANTIQUE, j’avais également collaboré avec François sur la bande-son, proposant du live sur scène. La chorégraphie est pour moi un événement musical.

Avec cette idée de prise avec le direct, le spectacle est évolutif, c’est-à-dire différent à chaque représentation. Qu’est-ce que cela apporte?

En effet, il y a une structure de base, comme une trame, qui ne change pas et soutient le spectacle telle une colonne vertébrale, mais cela une fois posé, on laisse la place à de nombreuses improvisations, autant dans la musique que dans la chorégraphie. La musique est jouée en live et traduit les intuitions et les humeurs du moment de François. Il en est de même pour les danseurs qui bougent en direct. Nous avons voulu exploiter complètement cette énergie. La partition alterne entre des passages écrits et de longs morceaux d’improvisations. Ainsi, le spectacle évolue, change et s’adapte. C’est la liberté des interprètes qui est au cœur de SUNNY, celle du musicien et du danseur. C’est quelque chose de fondamental pour moi car j’ai toujours besoin de sentir que le spectacle est vivant. Une chorégraphie figée est une chorégraphie qui meurt. Je vois la danse comme un organisme vivant. à nous de le suivre à l’œuvre et de le faire évoluer.

C’est aussi vous qui gérez les lumières sur scène…

Tout à fait! La lumière est cette troisième entité qui complète la création. Elle est plus importante que ce que les gens ont l’habitude de penser. Elle me permet de composer l’espace, d’insuffler des changements et de suggérer des ruptures.

Vous travaillez toujours à partir du groupe, proposant cadre sur lequel les danseurs improvisent. Comment se passent vos répétitions?

Je ne parlerai pas d’improvisations mais plutôt de processus de structuration. En fait, je n’impose pas de thématique mais je fixe des règles. On cherche ensemble, on explore, on décompose, et de ce processus émerge la chorégraphie. C’est une machine qui se met en marche. On essaie et on regarde ce qui se passe de manière très intuitive mon rôle est de poser des questions, diriger l’attention des danseurs et faire des choix. Je suis un œil extérieur qui ne guide pas mais qui fait des propositions. Je suis là pour créer un système fiable qui permettra ensuite aux danseurs de gérer eux-mêmes la chorégraphie, de manière autonome.

Cela implique une bonne entente entre les danseurs. Comment les choisissez-vous?

C’est en effet une vision collective du travail. La chorégraphie naît de l’échange et de la négociation entre les danseurs et il faut que tous les danseurs soient partie prenante du travail pour ne pas casser la cohésion du groupe. Pour l’instant, tout se passe bien! Ils forment une vraie famille. Pour la sélection, c’est assez simple. Je les choisis par intuition et par expérience. J’arrive maintenant à déterminer quel type de danseur correspond à ma recherche. Je ne pense pas à l’âge, au sexe ou à la nationalité. C’est avant tout une question de ressenti.

Diriez-vous que la méthode de travail influe sur le style de danse? Détermine-t-elle votre signature chorégraphique?

Oui, l’aspect central de mon travail repose sur le fait que la chorégraphie n’est pas contrôlée de l’extérieur. Ce n’est moi ni ma volonté qui sommes au centre de l’œuvre, mais bien le chorégraphie elle-même qui se génère de l’intérieur. J’aime rendre visible le processus de création.

Dans ce cadre, quelle place accordez-vous au public?

C’est très ouvert. On peut se poser dans son fauteuil et attendre que cela vienne vers vous, accepter aussi que cela ne vienne pas! Ou bien, au contraire, déchiffrer ce qui se passe sur scène, décrypter toutes les informations sur le plateau, car il y en a beaucoup! Je pense que c’est la force de l’art vivant. Je n’essaie pas de montrer quelque chose mais d’offrir un moment où le public puisse réfléchir à ce qui est en train de se passer. J’envisage le spectacle comme un événement.

Vous avez découvert la danse à 23 ans. Dans quel contexte?

J’ai d’abord découvert la danse en venant à un atelier amateur, avant d’assister à un premier spectacle trois mois plus tard. C’était donc tardif! Puis, j’ai pris des cours avec un couple de chorégraphes à Tel Aviv, Liat Dror et Nir Ben Gal. J’ai travaillé pendant 15 ans en Israël, constituant ma propre compagnie Emanuel Gat Dance en 2004 à Tel Aviv, avant de partir pour la France en 2007. On y venait déjà beaucoup pour les résidences de création et pour jouer nos spectacles. Mon administrateur était français et j’avais envie de changement. La France s’est alors présentée comme une évidence.

Retournez-vous en Israël de temps en temps?

Oui bien sûr, essentiellement pour revoir mes amis et passer quelques jours de vacances. Je n’ai pas coupé les liens.

Vous développez depuis quelques années un goût pour la photographie dans votre démarche de corégraphie. En quoi cela consiste-t-il?

J’aime photographier les danseurs lors des répétitions. Cela me permet de fixer des détails qui m’échappent dans la simple observation de leurs mouvements. Mon regard est alors plus précis. C’est aussi une manière de garder des traces. À l’inverse, je fais peu de captations vidéo car j’ai souvent le sentiment qu’elles écrasent la danse. On y perd quelque chose d’essentiel.

Danser ne vous manque-t-il?

Je n’éprouve pas le besoin de remonter sur scène. Je me sens bien à ma place. Pour moi, c’est bon signe.

Interview by Vinciane Laumonier
for Opéra de Rouen – Théâtre des Arts